Chef op de food film, un métier d'horloger
Est-ce qu'on éclaire une tomate ou un burger comme on éclaire Adèle Exarchopoulos ou Pierre Niney ? Qu’est-ce qui différencie le travail d’un chef op sur une pub food ou le tournage d’une comédie ? Pour mettre en lumière les spécificités de ce métier dont on parle peu, nous avons voulu en discuter avec François Starr et Thierry Le Mer, deux chefs opérateurs de talent avec qui nous avons l’habitude de collaborer.
La qualité première d’un bon chef opérateur consiste à bien comprendre la vision et les besoins du réalisateur par rapport au sujet à filmer afin de les mettre en image – et c’est encore plus vrai dans le domaine de la food.
« Le chef opérateur fait le pont entre les idées abstraites du réalisateur et des images concrètes, visionnables ». — Thierry Le Mer
En règle générale dans la food, deux mondes s’opposent et se mélangent : les plans produit food porn (ou packshot), et les plans produit in situ, en intercut avec de la comédie ou en décor naturel lifestyle.
Prenons l’exemple d’un burger. On peut choisir de filmer chaque ingrédient du burger en « packshot » sur un fond neutre : ces plans sont en général filmés en étant complètement détachés du décor. Seuls le produit et/ou les ingrédients doivent être perçus par le spectateur. On sublime, on rend beau et gourmand, mais on ne raconte rien de plus. Deuxième option : on peut choisir de filmer des scènes avec des acteurs en train de manger ce fameux burger, dans un décor « lifestyle ». Ce sont deux façon différentes d’éclairer et de mettre en image le même produit, qui peuvent s’entremêler dans la même publicité.
« Même si j’ai déjà filmé plus d’un millier de burgers, je ne fais jamais deux fois la même chose. Chaque script est différent, j’aime ce renouvellement perpétuel à chaque film. Tant que la demande ne dépasse pas la technique, on trouvera toujours une solution. C’est ce challenge qui me motive » partage François Starr.
Tout l’enjeu en plan food porn consiste donc à trouver le bon éclairage et la bonne manière de filmer pour donner de la grandeur et de la profondeur à l’image, tout en préservant l'appétence du produit, critère particulièrement important en France. « Ce n’est pas forcément le cas en Angleterre » précise François Starr, en référence à une campagne réalisée pour Lurpak. Un équilibre délicat qui nécessite une grande précision et une parfaite maîtrise des optiques et de leurs rendus.
L'art de sublimer la nourriture
Pour François Starr, il est plus facile d’éclairer une star qu’une tomate ou un burger, au grand désespoir des chefs opérateurs. « Sur un long métrage, la lumière est plus réaliste, on accepte les défauts et les ombrages. Quand on filme un burger, chaque ingrédient doit être mis en avant. Souvent, je dois rééclairer une ombre pour éviter qu’elle soit trop portée, trop sombre. »
Un simple degré d’angle peut changer la réflexion de la lumière sur l’objet et modifier son appétence. À l’inverse, une luminosité moindre peut apporter plus de mystère à la scène. C’est un équilibre à trouver, qui est bien plus précis que des projets lifestyle.
« C’est plus compliqué de filmer un burger et de le rendre appétent que de filmer un plan portrait d’un être humain ». — François Starr
Thierry Le Mer le confirme : « Le métier de chef opérateur varie énormément en fonction des projets. Sur une fiction ou un documentaire, on est obligé d’adapter les exigences, de faire des compromis, tout en s’efforçant de rester le plus proche possible de l’intention. En pub food, on construit plus, on est plus précis, et en général, le résultat correspond exactement à l’intention souhaitée. On prend plus de temps pour faire ressortir les caractéristiques précises d’un produit, comme l’onctuosité d’un yaourt ou la fluidité d’un liquide, ou pour parvenir à sublimer une feuille de salade ».
C’est la raison pour laquelle un chef opérateur de pub food peut passer des heures à disposer l’éclairage d’un plan, choisir son optique et son matériel, préparer chaque plan et trouver le bon angle de prise de vue. Un souci du détail qui est permis par le travail en studio et le nombre limité de plans à tourner : « Les tournages de pub food sont généralement confortables pour un chef opérateur. C’est très satisfaisant de pouvoir contrôler l’ensemble des paramètres » avoue Thierry Le Mer.
« La food a un côté très ludique. Le travail réalisé avec les stylistes culinaires et les accessoiristes permettent de laisser libre court à sa créativité. J’aime trouver des idées, les mettre en place et les voir prendre vie. » — Thierry Le Mer
Les défis techniques du Chef op de pub food
Pour Thierry comme pour François, la grande vitesse est un outil essentiel du chef op de pub food. En tournant 1000 images par secondes ou plus, elle permet d’obtenir des ralentis qui mettent en valeur chaque ingrédient et offrent un rendu particulièrement esthétique. Et parmi les caméras high speed, l’une d’entre elles se démarque…
« La Phantom, c’est la Rolls Royce du high speed. » — François Starr
Pour autant, le high speed comporte ses limites aussi. Les bras articulés, utilisés pour paramétrer un mouvement de caméra au millimètre près, ne sont pas toujours assez rapides pour filmer l’entièreté d’une action.
« Si on veut tourner à 120° autour de la corolle d’une goutte d’eau, cela nécessite de filmer 2000 images par seconde, mais aucun robot n’est capable de faire ça » regrette François Starr.
Passionné d’optiques, ce dernier aime trouver des solutions techniques originales pour répondre aux demandes du réalisateur, à la direction artistique et à l’effet recherché : une caméra high speed, une série d’objectifs macro, voire occasionnellement un objectif endoscopique – une caméra minuscule reliée à un câble rigide ou flexible et permettant de filmer dans des espaces étroits et/ou submergés.
« Le tout est de bien comprendre les avantages de chaque série de macro afin de choisir celle qui s’adapte le mieux au script et à la vision du réalisateur. Par exemple, je vais opter pour la techno lens pour un film particulier car le rendu sera plus chaud, les Arri macro si j’ai besoin d’accentuer le contraste, ou encore les Raptors si je cherche à obtenir un style Instagram. J’ai mes préférences, mais je n’impose jamais mon matériel au réalisateur. »
Expérimenter, se tromper, et surtout se différencier : pour François Starr, le métier de chef opérateur s’apprend « en faisant du plateau ». « Pour se spécialiser dans le domaine de la pub food, il faut proposer quelque chose de différent, et être capable de s’adapter aux contraintes et aux demandes des autres métiers – stylistes culinaires, régisseur, … ».
Thierry Le Mer partage son point de vue :
« Dans la food, on assiste à des effets de mode sur une manière spécifique de tourner, ça dure un temps avant qu’on se lasse. Le Lawoa probe, qui était un incontournable il y a quelques années pour filmer sous l’eau ou entre les aliments, a été tellement vu et revu dans la food qu’il n’est plus très original. Ce qui reste malgré l’évolution des modes, c’est les images topshots. »
Chef op de food film, un métier d'horloger
Chez MKS, le chef op travaille main dans la main avec le réalisateur et le styliste culinaire : ce sont les 3 piliers de nos projets food. Leurs responsabilités sont intimement intriquées, la réussite du projet global dépend de leur compréhension mutuelle et de leur collaboration. Car si le chef op constitue un pilier des projets food, son rôle est aussi de mettre en valeur les envies du réalisateur et le travail du styliste culinaire – une vision que partage Thierry Le Mer :
« Le travail des stylistes culinaires est crucial pour le tournage. Il faut travailler avec eux et pas juste à côté, les aider au maximum dans leurs problématiques. Un burger sublime mal éclairé sera toujours plus appétissant que l’inverse. »
C’est la raison pour laquelle, nous avons pris le parti d’envoyer à chaque compétition les bandes démos de l’équipe complète (et non la seule bande du réalisateur comme c'est souvent l'usage), choisie spécifiquement en fonction du type de projet, du style recherché et de la méthode de travail qui sera adoptée .
Bien plus qu’un technicien parmi d’autres, le chef opérateur est un véritable peintre, avec son style et sa technique. Il représente également un maillon clé au cœur de l’équipe, le pont entre le réalisateur, les clients et l’agence d’une part, et les techniciens d’autre part. Un rôle qui se doit d’être rassurant pour les uns comme pour les autres, malgré les exigences pointues et le stress.
« Rassurer, c’est déjà un pas pour que le projet se passe bien. Il y a un rôle politique à réussir à mettre une ambiance positive et bénéfique sur le tournage, à aider chacun à trouver sa place, à mettre le réalisateur, le client et l’agence en confiance. » — Thierry Le Mer
Ce métier clé, tant au niveau technique qu’humain, doit s’adapter en permanence à de nouveaux enjeux. Récemment, si l’essor de l’IA offre des opportunités en matière d’efficacité du processus créatif pour la construction d’un storyboard par exemple, il vient également bousculer les limites de la technique. « L’IA rend notre métier compliqué. Aujourd’hui, la majorité des storyboards sont créés par l’IA, mais les plans créés ne sont pas toujours réalisables. On se retrouve avec des rapports de grossissement non respectés, impossibles à tourner avec une grosse focale » partage François Starr. Un outil puissant donc, mais encore en phase de rodage, qui devrait continuer à faire évoluer le métier dans les années à venir.
« Le travail du chef opérateur consiste à peindre des images avec la lumière ». — Brice Vassault
François Starr
Directeur de la photographie belge, François Starr est spécialisé dans la photographie à grande vitesse et les effets visuels en prise de vue réelle. Il a commencé sa carrière audiovisuelle comme assistant opérateur puis opérateur caméra High speed, pour la publicité principalement, ainsi que sur des longs métrages. Après plus de 500 tournages à son actif, il décide de se consacrer au métier de chef opérateur. Passionné d’optique, il a notamment participé au développement de deux optiques macro. En 2011, il a reçu le prestigieux prix de la Meilleure Cinématographie pour la campagne 11.11.11, réalisée par Bram Coppens, au Palmarès CFP Belgium à Bruxelles.
Thierry Le Mer
À 32 ans, Thierry Le Mer exerce comme chef opérateur sur des tournages de publicité, de clips et de documentaires depuis près de 10 ans. Avec MKS, il a eu l’occasion d’explorer nombre de contextes, configurations, problématiques et équipes différentes dans l’univers de la publicité food.